Guy Renaud, mari et père de deux enfants, s’enrôla volontairement dans l’armée canadienne et fut envoyé au combat en juillet 1944. On raconta plus tard à sa veuve que c’est au milieu d’un village normand, au moment où il étudiait les cartes de la région, qu’un tireur embusqué dans un clocher d’église le visa, le tuant sur le coup. Le père de famille avait les cheveux noirs en quittant le Canada, mais après 10 jours passés dans un enfer de feu et de sang, ils étaient devenus, le jour de sa mort, entièrement blancs.
Cet homme, ayant donné sa vie lors d’une guerre sans merci, est l’arrière-grand-père de mes enfants. Voilà déjà maintenant quelques années que, par devoir de mémoire, nous avons suivi avec notre fils Christophe, les traces de son aïeul.
En 2012, La Presse publia un article où un membre de la famille reconnut sur une photo Guy Renaud marchant devant son escadron. Il nous reste très peu de souvenirs de lui, et mes beaux-parents remuèrent ciel et terre pour mettre la main sur ladite photo. Le journal s’empressa alors de publier un autre article s’intitulant : « Le Noël du lieutenant Guy Renaud ».
Un Français, en visite à Montréal, en prit connaissance et contacta un ami spécialiste du débarquement. Tenant compte de la date de la mort du lieutenant et après quelques recherches sur les mouvements des régiments, ils établirent qu’il perdit probablement la vie entre St-André et May-sur-Orne. C’était les premiers renseignements précis que nous recevions, 69 ans après la mort du lieutenant, ayant toujours ignoré où il avait rendu l’âme.
Notre voyage en Normandie commença par une visite à Juno Beach ; nous désirions ainsi mieux comprendre l’ampleur du débarquement. Sur le chemin du retour, notre système de navigation fit des siennes, et nous étions perdus. J’aperçus alors un panneau routier annonçant le village de May-sur-Orne, et c’est sans le savoir que nous avions probablement emprunté la même route que le lieutenant Renaud et ainsi sans doute passé près des lieux de sa mort. Autre surprise : nous nous trouvions sur la rue des Fusiliers Mont-Royal, nom de son régiment (il avait aussi fait partie du Régiment de Maisonneuve). La photo s’imposait. Prenant la pose devant le panneau indicatif de la rue, une dame qui nous observait nous demanda la raison de notre présence.
Elle nous informa alors que sa mère avait été témoin de l’entrée au village du régiment. C’est les yeux pleins d’eau que nous avons alors réalisé qu’elle avait alors sans doute vu les « hommes » du lieutenant, seulement quelques jours après sa mort.
Le samedi 3 août 2013 fut le jour de notre visite au cimetière de Bretteville-sur-Laize, lieu du dernier repos de Guy Renaud. Près de 90 % des soldats québécois de la Seconde Guerre mondiale étaient célibataires. Une famille assez jeune (!) se recueillant sur une tombe de ce cimetière est maintenant devenue chose moins fréquente, nos combattants sombrant lentement dans l’oubli faute de descendance. Intrigué, un homme vint se présenter, et nous fîmes ainsi connaissance de Monsieur Le Baron, maire de Cintheaux et président du comité de Juno Canada Normandie. Il s’empressa de nous inviter à une cérémonie officielle qui devait avoir lieu le lendemain au cimetière.
Un peu hésitants, puisqu’il y a beaucoup à visiter en Normandie, on retourna se recueillir une dernière fois sur la tombe, pour y remarquer la date inscrite de sa mort : le 4 août ; et nous étions le 3. Un désir de fermer la boucle s’imposa à nous, et c’est ainsi que l’on se présenta pour une 2e fois au cimetière, soit le 4 août 2013, 69 ans jour pour jour après la mort du lieutenant.
La cérémonie fut magnifique avec tous ces dignitaires et ces vétérans. Monsieur le maire prit la parole ; il nous demanda de venir à l’avant et commença alors à raconter à la foule comment, le jour précédent, il nous avait trouvés là, agenouillés et déposant fleurs et photos de famille sur la tombe d’un héros canadien, soulignant la grande coïncidence du jour de la mort du lieutenant et de celui de la cérémonie.
Un « Ô Canada » fut entonné par tous les Canadiens présents et de nombreuses couronnes et fleurs furent déposées. Soixante-neuf ans après sa mort, un premier hommage officiel a été rendu ce jour-là au lieutenant Renaud par cette foule réunie, et ce, devant son petit-fils et son arrière-petit-fils, le sortant ainsi de l’anonymat partagé par tous ces frères d’armes.
Mais l’histoire ne s’arrête pas ici. C’est en 2014 que mes beaux-parents accomplirent le même voyage pour les 70 ans du débarquement. Ils entrèrent en contact avec Monsieur Le Baron qui les invita aussi à une cérémonie où leur fut remise une médaille à titre posthume.
Les descendants du lieutenant Renaud sont profondément reconnaissants envers ces Français pour cet hommage généreux et surtout, pour nous avoir donné le sentiment d’avoir enfin pu offrir des funérailles dignes de ce nom à l’un des nôtres.
Nous avons fait promettre à nos enfants de retourner un jour sur la tombe du lieutenant Renaud puisqu’ils sont la portion d’éternité de cet homme mort en 1944 à l’âge de 27 ans, dans un pays pour lui étranger et loin de sa douce Mariette et de ses enfants Francine et Henri.
En ce jour du Souvenir, j’ai voulu partager cette histoire souhaitant que quelque part, un combattant lise ces lignes, sachant que ceux qui suivent n’oublient pas, même autant d'années plus tard. À preuve, mon fils n’a qu’un seul tatouage sur le corps, la date de la mort de son arrière-grand-père.