Je suis remarquablement imparfaite. Par exemple, j’ai la mauvaise habitude de retirer mes chaussettes dès que j’ai chaud aux pieds, bien oui, et j’ai souvent chaud. Je les laisse alors traîner en petits paquets, les semant allégrement un peu partout dans la maison. Comme je sais que cette habitude est franchement déplaisante, toutes les fois où je trouve un tas, je dis : « Hon! Des p’tits bas cutes » tentant ainsi de convaincre chéri que cette disposition est tout à fait charmante.
J’ai un toc. Je déteste les planchers de cuisine sales, ça doit être parce que je suis toujours pieds nus (j’ai chaud) et que l’idée de me traîner les orteils dans les graines et la saleté me déplaît au plus haut point. Je passe donc le balai plusieurs fois par jour et je lave ma céramique à quatre pattes presque autant de fois.
Vous allez penser que je suis une maniaque du ménage, changez d’idée. J’aime que ma maison soit propre, mais ma théorie est la suivante : les gens qui aiment cuisiner sont peu enclins à frotter. Posez la question à ceux que vous connaissez, j’ai probablement raison. Donc, vous comprendrez que, hormis mon plancher de cuisine, je ne frotte pas fort. Par contre les traîneries me rendent un peu dingue. Sauf dans mon auto et mon bureau.
C’est là que je me « lâche lousse ». J’ai un grand bureau, on voit à peine la surface du bois tellement j’y laisse traîner des livres et des dictionnaires. C’est mon antre, j’ai le droit. Pour mon auto, c’est simple, j’y porte peu attention. D’ailleurs, chéri un peu tanné de changer mes carpettes d’hiver pour celles d’été, ne l’a pas fait cette année. Je m’en suis rendu compte lorsqu’il me l’a dit, ça, c’était en septembre et j’avais encore mes carpettes d’hiver.
La liste est longue, mais bon, je ne veux pas vous ennuyer. J’ai toujours accepté le fait que j’étais imparfaite, sans trop m’en faire avec ça. C’était la même chose avec mon apparence physique.
Par contre, depuis l’adolescence je suis consciente de mon menton volontaire et d’une dent croche. Je le sais que ce n’est pas grave, il y a des gens qui souffrent de maladies incurables et moi je me plains de deux choses insignifiantes, mais bon, en raison de ça, je souris rarement à pleine dent sur les photos sauf dans mon livre de recettes. J’ai d’ailleurs de la difficulté à les regarder ces photos.
C’est que voyez-vous, la partie la plus difficile est que je n’ai plus vingt ans. Chose que j’accepte puisque j’ai des amies qui ne sont plus ici-bas. Et pour cette raison, ça fait longtemps que je me dis que je dois mordre dans la vie et de ne plus faire grand cas de mes rides. Mais voilà que je suis présente sur les médias sociaux et que j’ai un peu trop conscience de mon image de femme plus mature et de mes imperfections physiques. Ça ne me dérangeait pas autant avant.
Pourquoi en ai-je aussi conscience ? C’est qu’en regardant certains comptes Instagram et Facebook, je ne vois que des corps parfaits, musclés, maquillés, avec pas un cheveu de déplacé et un sourire pepsodent d’un tas de personnes de moins de trente ans. Et certains sont dans la popote, comme moi.
C’est que j’ai passé le cap de cinquante ans, moi. Voilà c’est dit, et ça explique pourquoi j’ai chaud. J’ai aussi gagné une taille (ce n’est pas la mer à boire), mais c’est parce que je cuisine et je goûte et que les kilos ne s’effacent plus à mon âge par un simple coup de baguette. Il y a aussi la préménopause et une partie de mon boulot qui me tiennent les fesses assises devant l’ordi. Je jogge, je fais attention à ce que je mange, mais j’ai un peu élargi. Mais moi, les régimes alimentaires, j’ai assez donné.
J’ai parfois l’impression que l’âge est aujourd’hui le dernier des tabous. On évite de l’afficher et d’en parler comme si le prononcer allait nous nuire. Certaines personnes le cachent par peur de ne plus pouvoir travailler ou d’être embauchées. D’ailleurs, dites votre âge dans un groupe de gens plus jeunes et certains adopteront un silence gêné, pensant que vous pourriez être leur mère ou leur père, et c'est probablement le cas. C’est triste, mais c'est comme si le nombre d’années accumulées était une tare. Vrai de vrai.
Pour toutes ces raisons, je trouve difficile de publier des photos de moi, et comme je suis sur les réseaux sociaux, je devrais le faire. Mais il y a toujours quelque chose qui me retient. Je me sais imparfaite, mais j’aimerais comme d’autres, l’être sur les zinternet. Mais ça n’arrivera pas. Je suis qui je suis, en plus d’être heureuse de l’être.
Donc j’ai décidé de sortir de placard. J’ai cinquante-trois ans et j’ai bien hâte d’être grand-maman, ce qui ne saurait pas tarder. Je vibre d’énergie, j’ai même commencé des cours de karaté, j’ai plein de choses à partager et des drôles d’idées. J’ai des rides, des paupières qui tombent, des petits bourrelets, une dent croche, un peu de cheveux gris, et mon popotin est plus large qu’avant.
Je ne vous montrerai ni mon ventre ni mon nombril sur Instagram et certainement pas mon décolleté, parce qu’il est plus bas maintenant. Je ne me promènerai jamais en bikini, parce que j’ai eu deux enfants, mes chefs-d’œuvre, qui ont laissé des marques sur mon corps. Et justement, cette enveloppe charnelle que j’ai est saine et forte, elle me permet d’accomplir plein de choses, et je lui en suis reconnaissante, même si à mon insu, elle a changé au fil de temps.
Mais savez-vous quoi ? Je n’ai jamais été aussi bien dans ma peau et heureuse d’être qui je suis qu’aujourd’hui. J’apprécie tellement la vie, j’ai plus de cinquante et je suis vibrante et drôlement vivante.
Alors, s’il vous plaît, si un jour on se rencontre, sachez que je serai encore plus vieille qu’en ce jour où j’écris ces lignes, mais ne m’appelez ma madame (sauf si je vous le demande) et vous allez voir, je suis assez drôle et pas mal gentille.
Bref, je suis certaine que l’on va bien s’entendre, même si vous avez trente ans de moins que moi.
Anick
Belle Anik. Je te lis et je ris (bouche fermée- j’ai des dents croches et le menton pas suffisamment volontaire à mon goût). Je suis presentement dans le métro et j’ai chaud – J’ai 52 ans…). Je sors d’une entrevue pour un job dans le milieu sportif, moi qui suis fuĺl kilos en trop. Merci pour tes écrits si vrais, si refraichissants. Et pour tes merveilleuses recettes. Ne change surtout pas. 😉
Ohhhh ! Merci Hélène ! C’est vrai qu’il fait chaud dans le métro (ouf!). Et je me croise les doigts pour l’emploi :-). On devrait échanger nos mentons !!!!!
Anick
xxx