Seize semaines

Samedi dernier, tu avais la grosseur d’une orange. C’est ce que montrait l’appli de ta mère que je suis avidement toutes les semaines. C’est si pratique ces programmes informatiques, dire que toi, tu connaîtras encore plus.

Je t’aime déjà. Follement. Tu auras les yeux verts, bruns ou bleus, j’espère qu’ils seront verts comme ceux de ton père et de ta marraine. Peut-être auras-tu ses cheveux d’un roux profond ? Après tout, le parrain (mon fils) de l’autre côté à la barbe rousse. Une rousse aux yeux verts, une première de notre côté.

Ton mélange d’ADN est remarquable : celui d’immigrants venus d’un pays en forme de botte et qui ont cherché un monde meilleur, celui d’habitants d’un pays froid, mais rempli de joie de vivre, tu as même l’ADN d’un réfugié de guerre belge, et loin, loin, celui des revenants d’un grand dérangement.

Mine de rien, tu hériteras de gènes de survivants, parce que le pays où tu naîtras est plein de gens comme ça.

Petite fille, tu arrives dans un temps que l’on dit difficile. Je le pense aussi, mais j’ai mon bémol. J’ai grandi pendant la guerre froide. La menace nucléaire a certainement plombé nos adolescences, puis ce fut les pluies acides. Je me souviens, alors petite, avoir entendu une voisine de vingt ans affirmer à ma mère ne jamais vouloir d’enfant, le monde n’en méritant pas. C’est vrai que ce n’était pas jojo tout ça. Mais ça fait plus de quarante ans. Et tu vois, on est là.

Il y a plein de jeunes aujourd’hui qui font de l’angoisse liée aux conditions climatiques. Moi qui ai connu le temps où des gens pensaient que la terre allait être victime d’atomes, je suis malgré tout encore une indécrottable optimiste. Je crois en nous, mais je fais tout de même plein d’efforts pour tenter de te laisser un monde propre. Tu as le droit à ça.

Sur une plus petite échelle et en parlant d’angoisse, je me demande si tu vas être un chêne ou un roseau. Papou et moi, on a une théorie là-dessus. Beaucoup de couples sont formés d’un roseau et d’un chêne. Les chênes sont solides, ils bravent les tempêtes et restent bien droits. Les roseaux cherchent les chênes, leur force étant réconfortante, car ces plantes plient dans les orages, mais elles remontent presque toujours, souples et aussi bien droites.

Arrive un ouragan, le chêne sera arraché, le roseau aura encore plié pour se coucher sur le sol, mais devine qui aura passé le mieux à travers l’épreuve ? Le roseau qui semble si fragile. Et tu en vivras des choses dans ta vie.

Si, comme moi, tu es un chêne, il ne faudra pas te croire invincible, petite poussine. Il faut avoir la sagesse de s’écouter et de dire : c’est assez. Je souhaite presque te voir être un roseau. Oui, il y aura des hauts et des bas plus souvent, mais c’est moins grave qu’un déracinement.

Tu n’arriveras pas avant de longues semaines, et j’ai hâte de voir ce premier regard que tu me lanceras. C’est étrange tout ce qui passe lors de ce premier contact. Je me souviens des yeux de ta mère qui ont plongé dans les miens le jour où elle a poussé hors de moi. J’y ai lu une force de caractère à ce moment-là qui ne s’est jamais démentie.

C’est fou la chance que tu as, tes parents sont tous les deux bons et même remarquables. Tu arriveras dans une grande famille unie, attendue des deux côtés. Tu as déjà un cousin qui est là, et une ribambelle de petits cousins de mon côté à moi. Tu seras aimée, choyée, entourée d’une mère poule et d’un papa poule, et j’en suis certaine, de mamies et de papis poules.

Je t’écris en décembre, et contrairement au petit bébé que l’on fête en ce mois de Noël, tu as cette chance unique d’arriver dans un doux pays, où tout n’est pas parfait, mais on y est drôlement bien. Il faut en être reconnaissant et ne pas tenir cette chance pour acquise.

Je vais essayer d’être là aussi longtemps que possible pour toi et pour les autres petits trésors qui suivront. Il y a de l’espoir de ce côté, ma grand-mère à moi est morte à 102 ans. Tu devrais donc m’avoir longtemps. Je sais que l’on sera proche l’une de l’autre, mais sache que je comprends que lorsque tu seras grande et moi vieille, tu auras moins de temps pour moi. Ainsi va la vie, c’est un tourbillon. J’ai eu le mien. Mais viens me voir à Noël.

Tu verras, je suis dingue, mais je suis aussi sage et c’est pourquoi je te dis de ne pas oublier que tous les êtres ont une certaine fragilité. Et tu vivras des tornades. N’aie pas peur d’être un roseau, tout ira bien. Et si c’est le cas, je te souhaite ton chêne, parce qu’aujourd’hui comme avant, c’est plus facile à deux. J’espère aussi te voir connaître la joie d’avoir des enfants qui seront ma portion d’éternité à moi. Il y aura d’autres défis dans ce monde où ils naîtront comme dans le tien, mais c’est ça l’humanité.

Ce que je veux vraiment pour toi n'est pas d'être riche ni puissante, mais simplement d'être heureuse.

Chère petite fille déjà adorée, ton arrivée me fait tourner une autre page de vie, mais mon cœur est prêt à cette étape. On va s’aimer.

Je t’attends.

Anick

2 commentaires

  1. Félicitations!
    Quel beau texte!
    Je lui souhaite une belle grossesse et un beau bébé en santé!
    Être grand parent est un immense privilège et de l amour inconditionnel!
    Vous comprendrez au premier contact. C est fou comme sensation…💕

    1. Merci à vous ! Nous avons tellement hâte, vous avez raison, je sens que ce sera un amour inconditionnel. J’espère être une aussi bonne mamie que ma mère a su l’être pour mes enfants :-).

      Bise

      Anick

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