Je ne sais pas pourquoi, mais je ne fais jamais rien comme les autres. Les événements font souvent que je me retrouve dans des situations où je suis à contre-courant. Prenez cet « exode » des citadins vers la banlieue causé par la pandémie, bien ma petite famille a fait le contraire : nous avons vendu notre belle grande maison du 450 pour emménager en ville.
Bien sûr qu'habiter Laval m’attirait les moqueries des Montréalais, j’en ai entendu des : « Tu restes en campagne », « Il y a des vaches à côté de chez vous ? » (meuh non, mais il y a des champs de maïs pas loin, et c’est pas mal bon frais coupé, t’es jaloux.se ?), sans compter les jeux de mots nonos et douteux sur les filles de Laval, la mode pas cool (paraît-il) en banlieue, et j’en passe.
Ces railleries que j’ai commencé à essuyer à l’université ne m’ont pas poussée à venir m'établir en ville, et ce, même si j’étais contente d’avoir un cellulaire dont le numéro débutait par 514 et que je donnais toujours en réservant un resto. Non, en fait, j’ai grandi sur une rue tranquille de Duvernay à... Laval, et après avoir terminé nos études, chéri (un Montréalais), et moi avons décidé d’établir notre nichée sur la Rive-Nord. Pourquoi ?
Parce que la cuisine kaki et bleu “pétant” fraîchement rénovée du condo sombre que nous avions visité sur le Plateau et qui était dans nos prix était franchement hyper laide. Un autre condo, lui aussi requinqué par un entrepreneur visiblement peu doué, était tout fissuré. L’agent d’immeuble nous vantait la vue sur le Mont-Royal : oui, oui, c’est la petite pointe que l’on voit là-bas au loin. Ajustez vos lunettes, madame !
Aïe !
Il y avait bien cette magnifique vieille maison du boulevard Gouin convertie en copropriété divise, mais c’était hors budget pour nous. De plus, nous souhaitions avoir un terrain pour permettre à nos futurs enfants de s'amuser, une piscine peut-être même un jour, et mes grands-parents habitaient dans Villeray, les ruelles, je connaissais, et je n’avais pas envie d’y voir jouer mes rejetons. Je sais, ça a changé avec les ruelles vertes, et c’est tant mieux.
Montréal était alors hors prix pour nous, et je vous parle des années 90, trente ans plus tard, on entend toujours la même chose, sauf que… ce sont maintenant les propriétés de Laval qui sont chères, poussant les jeunes familles de plus en plus loin. Bref, à l'époque pour nous, acheter en banlieue signifiait que l’on allait vivre dans une maison et pas un condo, idée qui nous plaisait vraiment.
Nous avons finalement déménagé trois fois dans notre quartier lavallois, un excellent centre à la petite enfance n’était pas trop loin et nous faisait hésiter à partir pour la ville, les enfants y étant tellement heureux, et les services étaient si faciles d’accès : c’est qu’on ne cherche pas de stationnement en banlieue !
Les hivers, chéri construisait d’immenses phares dans la neige sur le terrain, nos cocos d'amour s’y amusaient comme des fous, le papa également. Ils ont appris à faire du vélo dans la rue sans faire angoisser leur mère, et nous avons aussi eu cette piscine que les grenouilles de la Rivière-des-Prairies trouvaient pas mal invitante, ce qui donnait lieu à de cruels “lancés-de-la-grenouille-sur-le terrain-des-voisins”, chose que j’ignorais, car j’y aurais mis fin.
Mais peu à peu, les enfants du quartier ont grandi, certains sont partis, dont ma fille, et un silence s’est installé sur le croissant. Les petits restos où règnent ces vrais artistes de la bouffe sont plutôt rares en banlieue, disons que la scène gastronomique s’y améliore, mais il reste du chemin à faire. Pareil pour ce qui touche la culture, vaut mieux traverser le pont. Et avec tous les travaux, se rendre en ville devenait cauchemardesque. Ce qui jadis ne prenait que trente minutes s’étirait à plus d’une heure. De légères insatisfactions envers notre vie banlieusarde ont commencé à se pointer.
Puis, nous avons carrément arrêté d'aller dans les restos de Montréal. Tant pis, Valérie nous a eus à l’usure. Ensuite, la grande maison s’est vidée, de quatre, parfois cinq, et même six, nous sommes passés à trois. La circulation s’est encore plus envenimée. Finalement, c’est l’engouement des citadins pour la banlieue en raison de la pandémie qui nous a poussé à poser une pancarte à vendre devant notre maison.
Après trois offres, nous avons vendu pour acheter une maison de Montréal-Ouest qui est presque centenaire, et pleine de charme, taillée sur mesure pour nous. C’est tout juste à côté de Notre-Dame-de-Grâce. Fini la piscine à entretenir, un terrain arrière assez grand pour y manger (un jour) en famille, des voisins super gentils, et assez d’espace pour accommoder notre nouvelle réalité familiale et pandémique. Et nous y sommes depuis six mois.
Verdict ? Nous sommes bien chanceux, car la maison est spacieuse, chose que l’on n’aurait pas pu s’offrir il y a quelques années. De grands arbres garnissent ma rue, par contre, je n’ai pas l’habitude d’avoir des voisins si près. Cette perception de manquer d’espace m’étouffe un peu, et les filets de luminosité faiblarde souvent présents dans les maisons urbaines n’aident en rien.
Beaucoup de commerces sont toujours fermés, pour vivre « l’expérience Montréal » on repassera. Nous avons choisi ce quartier pour sa proximité aux autoroutes afin de ne pas être trop loin de notre fille, mais se rendre sur le boulevard Saint-Laurent n’est pas une partie de plaisir, la circule nous rattrape. J’ai encore un peu l’impression d'habiter en banlieue, sans ses avantages.
Bonne nouvelle : nous n’avons plus besoin de deux voitures, je peux faire des courses à pied, ce qui plaît à ma fibre environnementale (on a aussi acheté une auto électrique !). Pas loin de chez moi, il y a des épiceries coréennes, européennes, kasher, c’est pas mal cool pour la foodie que je suis.
Nous sommes vraiment chanceux, nous avons un chalet, et quand j’y arrive, je pousse un looooong soupir de soulagement.
Et c’est ça qui m’a fait comprendre que l’espace me manquait, même si j’adore notre nouvelle maison. Vous allez penser que je me plains le ventre plein, gros bébé gâté va, tu ne restes pas dans un 1 et demi après tout. Vous aurez bien raison. Mais la ville m’a fait réaliser que je suis maintenant pour vrai une fille de campagne, sinon à tout le moins, de banlieue.
Si passer du chalet à notre maison de Laval n’était pas un grand choc, passer des Laurentides à notre demeure urbaine l’est un peu. Il y a de l’espace en banlieue, que l’on vive dans un bungalow ou dans ces propriétés genre château, et il est permis de faire pousser des haies ou de poser des clôtures plus hautes pour créer une certaine intimité, pas où j’habite.
Mais pour certains, le bonheur est d’avoir une épicerie juste au coin, plein de petits restos à découvrir, prendre un vélo pour se déplacer de A à B ou le bus ou le métro pour se rendre au boulot pour gagner du temps. Pour d’autres, c’est d’avoir ce sentiment de liberté que donne la nature, un terrain pour jardiner, entendre les grenouilles se conter fleurette au printemps, siroter un verre de vin l’été au bord du lac ou de la piscine. C’est moi ça.
Par contre, une chose est certaine, où que je sois, où que j’habite, ce qui me rend vraiment heureuse, ce qui me comble, c’est d’être avec les miens, ma tribu, ceux que j’aime. Donc en ville, en banlieue, en campagne, en fin de compte, ce n’est pas ce qui est le plus important, c’est que notre “nous” soit possible et ensemble. C’est ça mon bonheur. Vivement l'immunité de groupe pour qu'on en finisse avec cette grrrr de pandémie.
Anick